La dépigmentation : malédiction africaine post-coloniale et religieuse ?

Article : La dépigmentation : malédiction africaine post-coloniale et religieuse ?
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20 février 2019

La dépigmentation : malédiction africaine post-coloniale et religieuse ?

« Femme nue, femme noire vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté j’ai grandi à ton ombre… » Ainsi parlait Léopold Sendhar Senghor en hommage à la beauté de la femme africaine et de ses couleurs ébènes, amandes, café… Aujourd’hui ses mots restent des rumeurs. Les muses courent de manière exponentielle vers un idéal plus occidental. Qu’elles emploient des moyens dits « cosmétiques » (hydroquinone, quinacore) ou des solutions radicales (eau oxygénée, javellisée et autres), les aspirant(e)s clair(e)s ne reculent devant rien, quitte à frôler la transparence ou le rouge tomate…

« Ambi» au Gabon, «Xeesal » au Sénégal ou Kobakwana et kopakola dans les deux Congo, la dépigmentation est apparue en Afrique vers la fin des années 60, période qui correspond aux indépendances africaines, notamment des pays les plus touchés (Togo, Sénégal, Mali, Congo). Coïncidence ? Pas tant que ça. Si les femmes concernées avouent des motivations esthétiques, le fait est qu’elles sont intimement convaincues que les hommes préfèrent les femmes plus claires. D’ailleurs dans certains pays comme les deux Congo, la gent masculine la pratique, qu’elle soit anonyme ou célèbre (on ne cite pas les contemporains) avec la même ardeur. Plus que le désir de vouloir cadrer avec un modèle de beauté, il s’agit bien de l’expression d’un mal être social. Même outre-atlantique certaine célébrités noires s’affichent de plus en plus claire de peau, les cheveux lisses, les traits affinés.

« Cette attitude des noir(e)s par rapport à la couleur de leur peau, procède d’un profond traumatisme post-colonial »

D’après Frédéric Ezembe, psychologue spécialiste des communautés noires. Le psychologue estime que le rapport de domination « maître/esclave » hérité des colonies persiste et serait l’une des causes profondes de la dépigmentation,  d’une part. D’autre part, ces racines coloniales se seraient légitimées insidieusement dans les mœurs par les dogmes religieux. En effet, depuis son arrivée au Ier siècle, l’Afrique est le continent où la religion catholique se développe le plus rapidement. Selon les Nations Unies en 2050, le continent comptera 322, 2 millions de fidèles pour 1,8 milliards d’habitants.  Or les représentations des grandes figures de la bible y sont exclusivement blanches. Notamment en Afrique subsaharienne où les portraits caucasiens de Marie, Joseph ou encore ceux des anges trônent majestueusement dans les séjours des maisons familiales depuis des générations. « Pas étonnant qu’un teint clair s’inscrive effectivement comme un puissant critère de valeur dans la majeure partie des sociétés africaines», ajoute le psychologue. En Ethiopie, seul pays non-colonisé du continent et orthodoxe, Jésus, sa mère,  Saint-Georges et les autres figures bibliques, ont le teint caramel et des petites têtes crépues. Coïncidence ou non, la dépigmentation n’y connaît pas le même succès.

Fresque de Marie et Jésus, cathédrale d’Axum, Ethiopie

« Je n’offre des verres qu’aux métisses »

S’il convient que les femmes, principales victimes de cette tendance malheureuse, sont aliénées par une envie de plaire, il semblerait qu’il existe une réelle préférence. « Je n’offre des verres qu’aux filles métisses », explique par exemple un jeune homme noir à une amie dans une discothèque de Libreville. Certains hommes et tout un système tolèrent et nourrissent cette gangrène. De même que le laxisme en termes de publicité. Dans de nombreux pays les produits dépigmentant jouissent de vitrines promotionnelles, même en Occident où ils se jouent de l’amalgame éclaircissant/dépigmentant. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCR) publiait une liste des produits éclaircissants de la peau non conformes et dangereux identifiés en France (16/11/2011) (61 ko) pour les indécis(es).

 

Un marché de 5 milliards FCFA

En 2014, le Sénégal fut le ring d’une bataille entre deux marques de produit dépigmentant. Ces dernières rivalisant de promesses plaquées sur des panneaux publicitaires géants présents dans tout le pays, ont fait monter au créneau des personnalités outrées par tant d’audace. Ainsi la militante des droits de la femme, kiné Fatim Diop, soutenue par des stylistes et autres figures influentes, avaient riposté par la diffusion d’affiches contestataires. Mais l’impact de ces actions restent mitigé. Au Sénégal, la dépigmentation rapporte près de 5 milliards de francs CFA (source Seneweb news).

Poursuite d’un idéal ou rejet identitaire, se décaper la peau reste une véritable tragédie encore jouée par une trop grande partie de la population noire. L’influence sociale voire religieuse, et la loi de l’omerta restent autant de freins à son combat.

 

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